Shared Memory cs327

 

 

 

 

 

 

 

 

Uliben ! Derrière ce vocable improbable qu’on méprendrait pour un prénom moyen-oriental atypique, se cache le superbe duo de contrebasses d’ Ulrich Philipp et de Benoît Cancoin. Shared Memory nous fait entendre la magnifique contrebasse de Cancoin aux prises avec le live signal processing de Philipp, lui-même un contrebassiste exceptionnel issu du free-jazz violent de la panzer-muzik teutonne passé armes et bagages dans l’improvisation chambriste la plus raffinée et l’art sonore pointu. Le coup d’archet de cet autodidacte vaut bien l’or de tous ses confrères prestigieux. Avec Torsten Müller, Hannes Schneider, Georg Wolf, Alexander Frangenheim, Matthias Bauer, Sebastian Gramss, Klaus Kürvers,  Ulrich Philipp fait partie du cercle peu connu en France et ailleurs des contrebassistes radicaux haut de gamme d'Allemagne qui, sur les traces de Peter Kowald au départ, furent éblouis par les possibilités sonores de la contrebasse telles qu’exposées par Barre Phillips dans son Journal Violone de 1968 et Barry Guy avec ses Statements publiés il y a bien longtemps par Incus. Plus proche de la musique contemporaine que du free-jazz. Quant à Benoît Cancoin,  il représente le profil de ces innombrables improvisateurs radicaux de la lointaine province française qui sont devenus des maîtres de leur art et persévèrent malgré le peu de cas qu'on fait de leurs musiques. J'ai chroniqué récemment le superbe "Décliné" dans lequel officie le contrebassiste Louis-Michel Marion et je devrai bientôt m'y mettre avec "Estasi" avec un troisième contrebassiste, Fred Marty. Ces trois albums chez Creative Sources ! Trois contrebassistes français quasiment inconnus publiés par le même label étranger et on peut parier que ces trois-là se connaissent à peine !

Et c’est avec surprise que j’aborde le live signal processing multiple et un tant soit peu désorientant d’Ulrich Philipp complètement focalisé sur la contrebasse de son camarade Benoît Cancoin qui signe ici une performance enthousiasmante, où les doigtés se répètent invariablement avec des décalages infimes et superbement maîtrisés. L’originalité de la démarche de Philip se matérialise par exemple dans le dédoublement réellement imperceptible ou imperceptiblement réel des pizzicatos des douze premières minutes de  joint repository (40:32) et des altérations électroniques basées sur un sens du temps assez fantastique. Le jeu de Cancoin devient fracturé comme si des fragments avaient été découpés et recollés à la « sampleuse ». C’est fait de telle manière qu’un doute persiste. Le sampling diffère du processing du fait que dans le processing le micro de la source instrumentale est ouvert en permanence, à charge du processeur de métamorphoser l’instrument  sans discontinuer. La pièce évolue avec un lent travail à l’archet et une complémentarité troublante par le biais du processing alternée par des  grésillements ou des battements sourds qu’on entend bien être générés par ceux du contrebassiste. Le temps d’arriver à l’écrire et voilà que l’archet s’affole puis se tait laissant les palpitations électroniques s’entrechoquer et se débattre dans les croisements imprévisibles des rythmes digitaux et des sons extrapolés de ceux de la contrebasse. Un troisième mouvement intervient quand des col legno sur les cordes assourdies de la contrebasse s’insèrent dans l’effervescence de Philipp. C’est à ce moment que le duo opère à fond sans qu’il soit toujours possible de lever l’ambiguité entre les deux parties. C’est à la fois souvent très intéressant, avec des phases passionnantes et un vrai savoir-faire et un parti-pris de répétition quand la partie initiale de joint à l’archet émerge à nouveau en fin de parcours avant un action dramatique et un final grave parsemé de glitch. Le morceau suivant, concerted recollection (4:41) est une parfaite démonstration de la singularité d’uliben.  Je ne sais pas depuis combien de temps Phillip travaille cette démarche difficile et complexe, mais le résultat est concluant et mérite le déplacement, bien qu’il ne m’en voudra pas si je signifie que son travail à la contrebasse, trop peu diffusé via les enregistrements, nous aurait fait autant plaisir, si pas plus. Jean-Michel van Schouwburg (Orynx)

En temps réel, les live-processing d’Ulrich Phillipp percutent la contrebasse de Benoît Cancoin. Le mouvement ne s’égare pas, ne se transforme pas mais s’enrichit, accroît les harmonies d’archet. La boucle s’affermit, la contrebasse se déconnecte, le grésillement heurte le premier plan (Common Reservoir).

En quarante minutes, Joint Repository brosse le bois, fouette les borborygmes. La contrebasse lance l’accord et les ruches se rejoignent. Le bois scintille, saigne. L’archet se fait long, horizontal, Peter Kowald passe par là. Entre vertiges et contrôles, on glisse et on s’éloigne.

Les coups sont donnés, les coups sont rendus. La mémoire des chaos s’illumine. On gravit marche à marche sans oublier de rebondir (Concerted Recollection). Balayage des cordes ou bourdons, contrebasse et live-processing ne sont plus concurrents. Ils cheminent désormais côte à côte : ogres et fraternels (Mutual Memorization). Luc Bouquet (Le Son du Grisli)

[...] the Uliben Duo’s CD Shared Memory (Creative Sources CS 327 CD) more accurately describe the performance of French bassist Benoit Cancoin facing the live processing of German Ulrich Phillipp. In other circumstances Phillips also plays bass, so his electronic impulses are informed by that knowledge. Throughout he stretches the processing function so that it not only accompanies, but also enhances the double bass’s tonal qualities. More than replicating Cancoin’s initial sounds, Phillipp’s often tandem, frequently wriggling, textures extend the bull fiddle’s range, directing acoustically sourced sounds to unforeseen places. While there are instances of skyrocketing sound eruptions and multiplied string drones pm the tracks surrounding “Joint Repository”, this over 40½-minute improv gives the players ample space to define and perfect their hook up. Like stars floating in a night sky that illuminate at junctures, different sequences are prominent in stages. Languidly expressed, bowed resonations and bottle-top-like pops from the higher-pitched strings solidify into an electric shaver-like buzz via Phillipp’s electronics, with Cancoin interjecting sporadic mandolin-like plucks. By mid-point however, an euphonious bassoon-tempered tone predominates, until split into separate streams of: sprawling, spiccato thrusts from the bass and an assembly line of crackles and drones from the electronics. Before individual improvisations dribble away into irreconcilable solipsism, the program speeds up to sound like two double basses, courtesy of Phillipp’s machine-processed memory. As brief interludes where graininess reveal one tone’s electronic origins and Cancoin’s acoustic pulls. the “humanness” of the other, strands finally unite. The finale finds the two fading into a single sonic source like the fused profiles at the climaxes of the films Persona. Used judiciously with respect from both sides of the acoustic-electric divide, processing can create memorable discs of unanticipated sophistication like these sets. Ken Waxman (JazzWord)